Une personne ayant vécu les Exercices dans la vie nous exprime sa découverte de l’unité entre vie et prière.
Un autre point important des Exercices fut pour moi le discernement. Chose bien difficile. Si souvent divisée entre plusieurs attraits ou prête à prendre une décision sous la première impulsion, j’avais de la peine à me décider selon le « bon esprit ». Là encore la pédagogie des Exercices m’a guidée lentement vers ce nouveau mode de discernement. Dans la prière, comme dans l’activité la plus banale, j’ai appris à prendre conscience de ces mouvements perpétuellement divers de désirs, de joie, de crainte, de résistance, d’humilité, de paix. Là encore, j’ai expérimenté l’intense action de l’Esprit Saint. Il n’a cessé de me pousser vers cette extrême attention à ses « touches » certaines et décisives.
La motion de l’Esprit est devenue peu à peu un signe qui m’a montré la direction vers laquelle Dieu désirait m’entraîner. La vie quotidienne éclairée et fortifiée par la Parole de Dieu est découverte comme le lieu où la décision, dans la vérité toujours plus totale, est devenue possible. Ainsi, dans cette longue durée des Exercices, j’ai découvert que la décision selon la volonté de Dieu ne pouvait que jaillir de l’unité entre vie et prière. Heureuse expérience de pouvoir enfin me décider dans le calme et la liberté. Il me semble que Dieu me recrée à l’intérieur de chacune de ces décisions.
(Extrait de « Une retraite dans la vie » par Sœur M., Bulletin n°15 p.14)
Comment l’expérience de la durée a permis le déploiement de la liberté en Dieu
Ma retraite a duré dix huit mois… Lors de ma rencontre avec lui, le Père Giuliani m’a dit : « Tu sais, quand tu commences, mais tu es d’accord pour ne pas en connaître la fin ?
… Je suis entrée dans cette aventure spirituelle sans avoir à me hâter vers son terme. Cela a été pour moi une grâce fondamentale… Combien de fois j’ai été heureuse d’entendre mon accompagnatrice me dire : « Nous avons tout notre temps. » Cette réflexion, anodine en apparence, ne l’était pas pour moi car elle me faisait goûter en vérité la patience de Dieu à mon égard, qui, lui aussi, prenait tout son temps pour me restaurer dans mes racines mêmes.
… Les rencontres hebdomadaires avec mon accompagnatrice contribuaient à m’assurer sur le chemin de vie que j’empruntais, vie à laquelle j’aspirais tant.
Outre ce que je vivais dans l’exercice d’oraison, je lui parlais aussi de ce que j’avais vécu au quotidien, des décisions prises, des motions reçues, de ce que j’en avais fait. Par exemple, pourquoi j’avais passé cet après midi avec telle personne : était-ce pour me faire plaisir ? Pour échapper à quelque chose que j’aurais dû faire, alors que je le sentais au fond de moi-même ? S’affinaient ainsi de plus en plus le discernement au quotidien et la fidélité intérieure aux motions pour les recevoir ou les rejeter. C’est tout cela qui faisait le tissu de nos rencontres…. Tout vivre avec et pour le Seigneur, dans la simplicité et le concret.
Ainsi j’étais confortée dans ce que je percevais mais que, jusqu’ici, je ne croyais pas correspondre à la vie spirituelle… Je découvrais maintenant que ce que je faisais dans ma journée était en lien avec ma relation à lui. Je le réalisais concrètement et l’expérimentais : quand j’étais dans ma cuisine, par exemple, j’étais vraiment à ce que je faisais et, en même temps, c’était sous le regard de Dieu sans que ce soit pour autant à la force du poignet. Commençait une nouvelle étape : les ruptures de courant entre Dieu et moi s’estompaient de plus en plus…. Le fait que cette expérience ait pu se répéter et durer sur des mois m’a permis de saisir en profondeur que là est la vrais vie, celle qui ne finit pas…
… Assez rapidement après le début de la retraite, j’ai constaté qu’un certain silence prenait place en moi sans me couper de mes activités ni de mon environnement. Il s’est fait progressivement au fur et à mesure que je me livrais à l’expérience proposée. Cet apaisement me donnait le repos intérieur et la certitude d’être en relation avec Dieu Ignace parle de « se disposer à recevoir les grâces divines ». Je comprenais combien cette attitude facilitait mon attente et mon écoute de Dieu. Je pensais à Marie qui gardait tout dans son cœur et qui laissait la vie se déployer dans le temps. J’expérimentais ainsi la certitude que l’instant présent pouvait être vraiment une plénitude puisqu’il était béni par la fidélité de mon Seigneur, même si je ne le voyais ni ne le sentais…
… Et maintenant ?… Ma vie est totalement chamboulée… Cette retraite m’a donné de naître à ma maturité. J’ai toujours beaucoup de choses à faire mais tout cela rentre dans l’ordre, les choses se sont rangées en moi et à l’extérieur de moi. Je me surprends à être plus « malléable » par rapport aux événements parce que j’éprouve la sécurité d’être aimée du Seigneur… Maintenant, je suis responsable de ce que je vis et fais pour être plus ouverte et accueillante à la vie de l’Esprit dans le concret, sans plus m’accuser ou m’attrister… Je me sens devenir moi-même, de plus en plus libre, comme si j’avais rejeté le manteau que j’avais jusqu’ici sur les épaules. Maintenant j’ai une force, un élan, qui me donne de mordre à la vie, je ne suis plus du tout fatiguée de la même façon. En même temps, rien de ce qui est sur la terre ne m’est indifférent ou ne me paraît inutile, tout a un sens…
Extrait de « La grâce de la durée » Bulletin n° 57, p. 15 – 21